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VENDREDI SAINT 25 MARS— SAMEDI DE PÂQUES 26 MARS

MALOU ERIKSSON SE PENCHA en arrière dans le canapé de Mikael Blomkvist. Sans réfléchir, elle mit les pieds sur la table basse – comme elle l’aurait fait chez elle – et les reposa immédiatement par terre. Mikael Blomkvist lui sourit gentiment.

— Pas de problème, dit-il. Détends-toi, fais comme chez toi.

Elle lui rendit son sourire et remit les pieds sur la table.

Le vendredi, Mikael avait transporté toutes les copies des papiers de Dag Svensson de la rédaction de Millenium à son appartement. Il avait trié le matériel par terre dans le séjour. Le samedi, lui et Malou avaient passé huit heures à passer en revue les e-mails, les notes, les griffonnages dans les blocs-notes et surtout les textes du livre à venir.

Le matin, Mikael avait eu la visite de sa sœur Annika Giannini. Elle avait apporté les journaux du soir aux titres belliqueux avec la photo d’identité de Lisbeth Salander s’étalant en grand format à la une. Un des deux journaux s’en tenait aux faits :

TRAQUÉE POUR

TRIPLE MEURTRE

L’autre journal avait musclé son titre :

LA POLICE RECHERCHE

TUEUSE EN SÉRIE

PSYCHOPATHE

Ils avaient parlé pendant une heure, pendant laquelle Mikael avait expliqué sa relation avec Lisbeth Salander et pourquoi il mettait en doute sa culpabilité. Pour finir, il avait demandé à sa sœur si elle pouvait envisager de représenter Lisbeth Salander si elle était arrêtée.

— Il m’est arrivé de représenter des femmes dans des affaires de viol et de mauvais traitements, mais je ne suis pas en premier lieu un avocat d’affaires criminelles.

— Tu es l’avocate la plus futée que je connaisse et Lisbeth aura besoin de quelqu’un à qui elle puisse faire confiance. Je pense qu’elle t’acceptera.

Annika Giannini réfléchit un moment avant de dire avec une certaine hésitation qu’elle discuterait avec Lisbeth Salander le cas échéant.

A 13 heures le samedi, l’inspectrice Sonja Modig avait appelé et demandé à pouvoir passer immédiatement chercher le sac de Lisbeth Salander. La police avait apparemment ouvert et lu la lettre qu’il avait envoyée à Lundagatan.

Modig arriva vingt minutes plus tard et Mikael lui demanda de s’installer avec Malou Eriksson à la table à manger dans le séjour. Il alla chercher le sac de Lisbeth qu’il avait posé sur une étagère à côté du four à micro-ondes. Il hésita un bref instant avant d’ouvrir le sac et de sortir le marteau et la bombe lacrymogène. Subtilisation de preuves matérielles. La bombe lacrymogène était classée arme illégale et vaudrait une condamnation. Le marteau ferait invariablement naître certaines associations avec la nature violente de Lisbeth. Elle n’avait pas besoin de ça, estima Mikael.

Il offrit du café à Sonja Modig.

— Est-ce que je peux poser quelques questions ? demanda l’inspectrice de police.

— Je vous en prie.

— Dans votre lettre à Salander que nous avons trouvée dans son appartement à Lundagatan, vous écrivez que vous avez une dette à son égard. A quoi faites-vous allusion ?

— Au fait que Lisbeth Salander m’a rendu un très grand service.

— De quoi s’agit-il ?

— Un service de caractère purement privé dont je n’ai pas l’intention de parler.

Sonja Modig le regarda attentivement.

— Il s’agit d’une enquête pour meurtre, vous le savez ?

— Et j’espère que vous arrêterez le plus vite possible le salaud qui a tué Dag et Mia.

— Vous ne pensez pas que Salander soit coupable ?

— Non.

— Dans ce cas, qui selon vous serait l’assassin de vos amis ?

— Je ne sais pas. Mais Dag Svensson était sur le point de mettre en cause un grand nombre d’hommes qui avaient beaucoup à perdre. L’un d’eux peut être responsable.

— Et pourquoi un de ces hommes tuerait-il maître Nils Bjurman ?

— Je n’en sais rien. Pas encore.

Son regard avait la stabilité de la certitude. Sonja Modig sourit tout à coup. Elle savait qu’on le surnommait Super Blomkvist. Elle comprit soudain pourquoi.

— Mais vous avez l’intention de l’apprendre ?

— Si je peux. Vous pouvez dire cela à Bublanski.

— Je n’y manquerai pas. Et si Lisbeth Salander vous donne de ses nouvelles, j’espère que vous nous le ferez savoir.

— Je ne compte pas sur elle pour donner signe de vie et reconnaître qu’elle est coupable des meurtres, mais si elle entrait en contact, je ferais tout pour la convaincre d’abandonner la partie et de se rendre à la police. Dans ce cas, je ferai aussi tout ce que je peux pour l’aider – elle aura besoin d’un ami.

— Et si elle dit qu’elle n’est pas coupable ?

— Alors j’espère qu’elle sera en mesure de nous éclairer sur ce qui s’est passé.

— Monsieur Blomkvist, entre nous et sans en faire grand cas. J’espère que vous réalisez que Lisbeth Salander doit être arrêtée, et j’espère aussi que vous ne commettrez pas de bêtise si elle donne de ses nouvelles. Si vous vous trompez et qu’elle est coupable, il peut s’avérer extrêmement dangereux de ne pas prendre la situation au sérieux.

Mikael hocha la tête.

— J’espère que nous n’aurons pas à vous placer sous surveillance. Vous êtes conscient qu’il est contraire à la loi d’aider une personne recherchée. Dans le cas qui nous occupe, vous pourriez être condamné pour protection de criminel.

— Et de mon côté j’espère que vous consacrerez quelques minutes à réfléchir à des coupables alternatifs.

— Nous le ferons. Question suivante. Avez-vous la moindre idée du type d’ordinateur que Dag Svensson utilisait pour travailler ?

— Il avait un Mac d’occasion, un iBook 500, blanc avec un écran de 14 pouces. Comme le mien mais avec un écran plus grand.

Mikael montra sa bécane qui trônait sur la table à manger.

— Savez-vous où il gardait cet ordinateur-là ?

— En général, Dag le transportait dans un sac à dos noir. Je suppose qu’il se trouve encore chez lui.

— Il ne s’y trouve pas. Est-ce qu’il peut être sur son lieu de travail ?

— Non. J’ai vérifié le bureau de Dag et il n’y est pas.

Ils restèrent un moment sans rien dire.

— Dois-je en tirer la conclusion que l’ordinateur de Dag Svensson manque ? finit par demander Mikael.

 

 

MIKAEL ET MALOU AVAIENT IDENTIFIÉ un nombre considérable de personnes pouvant théoriquement avoir une raison de tuer Dag Svensson. Chaque nom avait été marqué sur quelques grandes feuilles de brouillon que Mikael avait scotchées sur le mur du séjour. La liste de noms était composée exclusivement d’hommes qui étaient soit des clients de prostituées, soit des maquereaux et qui figuraient dans le livre. A 20 heures, ils disposaient d’une liste de trente-sept noms dont vingt-neuf pouvaient être identifiés et huit figuraient seulement sous des pseudonymes dans la présentation de Dag Svensson. Vingt des hommes identifiés étaient des michetons qui à différentes occasions avaient utilisé l’une ou l’autre des filles.

Ils avaient aussi discuté de l’aspect purement pratique de la publication du livre de Dag Svensson. Le problème résidait dans le fait qu’un très grand nombre d’affirmations était basé sur les informations que Dag ou Mia détenaient personnellement et qu’eux seuls pouvaient écrire, mais qu’un auteur moins au courant du sujet se devait de vérifier ou d’approfondir davantage.

Ils constatèrent qu’environ quatre-vingts pour cent du manuscrit présent pourraient être publiés sans grand problème, mais qu’il faudrait pas mal de recherches pour que Millenium ose publier les vingt pour cent restants. Leur hésitation ne découlait pas d’un doute sur la véracité du contenu, mais uniquement du fait qu’ils n’étaient pas suffisamment informés du sujet. Si Dag Svensson avait été en vie, ils auraient pu publier sans la moindre hésitation — Dag et Mia auraient su prendre en main et rejeter d’éventuelles objections et critiques.

Mikael regarda par la fenêtre. La nuit était tombée et il pleuvait. Il demanda à Malou si elle voulait encore du café. Elle n’en voulait plus.

— D’accord, dit Malou. Nous avons le manuscrit sous contrôle. Mais nous n’avons pas trouvé la moindre trace du meurtrier de Dag et Mia.

— Ça peut être l’un des noms sur le mur, dit Mikael.

— Ça peut être quelqu’un qui n’a rien à voir avec le livre. Ou ça peut être ta copine.

— Lisbeth, dit Mikael.

Malou le regarda en douce. Cela faisait dix-huit mois qu’elle travaillait à Millenium et elle avait commencé en plein chaos pendant l’affaire Wennerström. Après des années de remplacements et de missions intérimaires, le boulot à Millenium était le premier emploi fixe de sa vie. Elle s’y plaisait énormément. Travailler à Millenium signifiait un statut social de marque. Elle entretenait de bonnes relations avec Erika Berger et le reste du personnel mais s’était toujours sentie vaguement mal à l’aise en compagnie de Mikael Blomkvist. Il n’y avait pas de véritable raison à cela, mais de tous les collaborateurs, Mikael était celui qu’elle ressentait comme le plus fermé et inaccessible.

Au cours de l’année, il était souvent arrivé tard dans la journée et il était resté tout seul dans son petit bureau ou chez Erika Berger. Il était régulièrement distrait et, pendant les premiers mois, Malou avait eu l’impression de le voir plus fréquenter les studios de télé que la rédaction. Il était souvent en voyage ou apparemment occupé ailleurs. Sa compagnie était tout sauf conviviale et, à en juger par les commentaires qu’elle avait glanés auprès d’autres collaborateurs, Mikael avait changé. Il était devenu plus silencieux et plus inaccessible.

— Si mon boulot est de chercher pourquoi Dag et Mia ont été tués, il me faut en savoir davantage sur Salander. Je ne sais pas par quel bout commencer, si je ne…

Elle laissa sa phrase en suspens. Mikael la regarda du coin de l’œil. Finalement, il s’assit dans le fauteuil qui formait un angle droit avec le siège de Malou et posa ses pieds à côté des siens.

— Est-ce que tu te plais à Millenium ? demanda-t-il de façon inattendue. Je veux dire, ça fait dix-huit mois que tu travailles chez nous, mais j’ai tellement cavale au cours de l’année qu’on n’a jamais vraiment eu le temps de faire connaissance.

— C’est génial de travailler à Millenium, dit Malou. Est-ce que vous êtes contents de moi ?

Mikael sourit.

— Plus d’une fois, Erika et moi, on a constaté que jamais on n’a eu une secrétaire de rédaction aussi compétente. On trouve que tu es une vraie perle. Et pardon de ne pas l’avoir dit avant.

Malou sourit, satisfaite. Les louanges du grand Mikael Blomkvist étaient plus que les bienvenues.

— Mais ce n’était pas tout à fait ça que je demandais, dit-elle.

— Tu te poses des questions sur la relation de Lisbeth Salander avec Millenium.

— Erika et toi, vous êtes très économes en information.

Mikael hocha la tête et croisa son regard. Erika comme lui avaient entièrement confiance en Malou Eriksson, mais il y avait des choses dont il ne pouvait pas discuter avec elle.

— Je suis d’accord avec toi, dit-il. Si nous devons fouiller les meurtres de Dag et de Mia, il te faut plus d’infos. Je suis une source de première main et je suis aussi le lien entre elle et Dag et Mia. Vas-y, pose tes questions, et j’y répondrai dans la mesure de mes possibilités. Et si je suis dans l’impossibilité de répondre, je le dirai.

— Pourquoi toutes ces cachotteries ? Qui est Lisbeth Salander et quel est son rapport avec Millenium ?

— Je t’explique. Il y a deux ans, j’ai engagé Lisbeth Salander comme enquêteuse pour un boulot extrêmement compliqué. Et c’est cela, le problème. Je ne peux pas te dire quel genre de boulot Lisbeth a fait pour moi. Erika sait de quoi il retourne et elle est tenue au secret professionnel.

— Il y a deux ans… c’était avant que tu viennes à bout de Wennerström. Dois-je en conclure qu’elle a enquêté dans ce contexte-là ?

— Non, tu ne dois rien conclure de tel. Je ne dirai ni oui ni non, je ne confirmerai rien et je ne nierai rien. Mais je peux dire que j’ai engagé Lisbeth dans une tout autre affaire et qu’elle a fait un boulot du feu de Dieu.

— D’accord, tu habitais à Hedestad à l’époque et tu vivais comme un ermite, si j’ai bien compris. Et Hedestad n’est pas resté un point anonyme sur la carte médiatique cet été-là. Harriet Vanger a ressuscité de la mort et tout ça. Je trouve assez curieux qu’à Millenium on n’ait pas écrit un mot sur la résurrection de Harriet.

— Donc… ni oui ni non. Imagine ce que tu veux mais je considère comme pratiquement nulle la probabilité que tu tombes dans le mille. Il sourit. Mais si on n’a pas parlé de Harriet, c’est parce qu’elle siège au CA. On laisse les autres médias s’occuper d’elle. Et pour ce qui concerne Lisbeth… crois-moi, Malou, quand je dis que ce qu’elle a fait pour moi n’a pas le moindre soupçon de lien plausible avec ce qui s’est passé à Enskede. Il n’y a tout simplement aucun rapport.

— D’accord.

— Laisse-moi te donner un conseil. N’essaie pas de deviner. Ne tire pas de conclusions. Contente-toi de constater qu’elle a travaillé pour moi et que je ne peux pas dire de quoi il s’agissait. Laisse-moi cependant ajouter qu’elle a fait autre chose pour moi. En cours de route, elle m’a sauvé la vie. Au sens exact du terme. J’ai une énorme dette de reconnaissance envers elle.

Malou eut l’air interloquée. Jamais elle n’avait entendu parler de ça à Millenium.

— Cela veut donc dire que tu la connais relativement bien, si j’ai tout bien compris.

— Aussi bien que quelqu’un peut connaître Lisbeth Salander, j’imagine, répondit Mikael. Elle est probablement l’être le plus hermétique que j’aie jamais rencontré.

Mikael se leva soudain et regarda l’obscurité dehors.

— Je ne sais pas si tu en veux ou pas, mais j’ai l’intention de me préparer une vodka-lime, finit-il par dire.

Malou sourit.

— D’accord. C’est mieux qu’un café de plus.

 

 

DRAGAN ARMANSKIJ EMPLOYA le week-end de Pâques dans sa maison de campagne de Blidö à réfléchir sur Lisbeth Salander. Ses enfants étaient adultes et ils avaient choisi de ne pas passer Pâques avec leurs parents. Ritva, son épouse depuis vingt-cinq ans, n’avait aucun problème pour remarquer que par moments il se trouvait à des années-lumière d’elle. Il s’enfonçait dans une rumination silencieuse et ne répondait que de façon incohérente quand elle lui parlait. Tous les matins, il prit la voiture et alla acheter les journaux à l’épicerie du village. Il s’installa devant la fenêtre de la véranda et lut les articles sur la chasse à Lisbeth Salander.

Dragan Armanskij était déçu de lui-même. Déçu d’une part de s’être si radicalement trompé sur Lisbeth Salander. Il savait depuis plusieurs années qu’elle avait des problèmes psychiques. L’idée qu’elle puisse passer brusquement à la violence et blesser qui la menaçait ne lui était pas étrangère. Qu’elle se soit attaquée à son tuteur – que sans aucun doute elle voyait comme une personne qui se mêlait de ses affaires et agissements personnels – était compréhensible sur un certain plan intellectuel. Elle considérait toutes les tentatives de diriger sa vie comme des provocations et peut-être comme des attaques hostiles.

En revanche, il n’arrivait pas à comprendre ce qui avait pu la faire aller à Enskede et tirer sur deux personnes qui selon toutes les sources disponibles lui étaient totalement inconnues.

Dragan Armanskij s’attendait en permanence à ce qu’un lien entre Salander et le couple d’Enskede soit établi – qu’on découvre que l’un d’eux avait eu affaire à elle ou qu’ils avaient agi de façon à la mettre en rage. Aucun lien de telle sorte ne figurait dans les journaux, où l’on ne faisait que des spéculations sur une Lisbeth Salander malade mentale qui avait dû être frappée d’une sorte de crise.

A deux reprises, il appela l’inspecteur Bublanski pour prendre des nouvelles de l’évolution de l’enquête, mais le chef des investigations non plus n’arrivait pas à trouver le moindre lien entre Salander et Enskede – à part Mikael Blomkvist. Mais là, l’enquête était tombée sur un os. Mikael Blomkvist connaissait aussi bien Salander que le couple d’Enskede, mais aucune preuve ne révélait que Lisbeth Salander, elle, connaissait ou même avait entendu parler de Dag Svensson et de Mia Bergman. Par conséquent, l’enquête avait du mal à déterminer le déroulement des événements. S’il n’y avait pas eu l’arme du crime avec ses empreintes digitales et le lien indiscutable avec sa première victime, maître Bjurman, la police aurait tâtonné à l’aveuglette.

 

 

APRÈS UN PASSAGE AUX TOILETTES, Malou Eriksson revint s’asseoir dans le canapé.

— Résumons, dit-elle. Notre mission consiste à déterminer si Lisbeth Salander a tué Dag et Mia comme l’affirme la police. Mais je n’ai pas la moindre idée de comment commencer.

— Considère ça comme un travail de fouilles. On ne va pas faire une enquête de police. En revanche, on va se baser sur l’enquête que fait la police et essayer de trouver ce qu’ils savent. Comme n’importe quel boulot d’investigation, avec la différence qu’on ne va pas nécessairement publier tout ce qu’on trouve.

— Mais si Salander est coupable, il y a forcément un lien entre elle et Dag et Mia. Et le seul lien, c’est toi.

— Et en l’occurrence, je ne suis pas un lien du tout. Ça fait plus d’un an que je n’ai pas vu Lisbeth. Je ne sais même pas comment elle aurait connu leur existence.

Mikael se tut soudain. Contrairement à tous les autres, il savait que Lisbeth Salander était un hacker de taille internationale. Il réalisa tout à coup que son iBook était rempli de correspondance avec Dag Svensson, de différentes versions du livre de Dag et en plus d’une copie électronique de la thèse de Mia Bergman. Il ne savait pas si Lisbeth Salander se trouvait dans son ordinateur ou pas, mais elle aurait pu trouver, par l’intermédiaire de l’ordinateur, qu’il connaissait Dag Svensson.

Le seul problème était que Mikael n’arrivait pas à imaginer le moindre motif qui pousserait Lisbeth à se rendre à Enskede et tuer Dag et Mia. Au contraire – ce sur quoi ils travaillaient était un reportage qui parlait de la violence à l’égard des femmes, que Lisbeth Salander aurait encouragé de toutes ses forces. Du moins s’il ne se trompait pas sur son compte.

— On dirait que tu viens de penser à quelque chose, dit Malou.

Mikael n’avait pas l’intention de dire quoi que ce soit sur les talents de Lisbeth dans la branche informatique.

— Non, je suis simplement fatigué, j’ai la tête en vrac, répondit-il.

— Maintenant il se trouve qu’elle n’est pas soupçonnée uniquement des meurtres de Dag et Mia, mais aussi de celui de son tuteur, et là le lien devient visible. Qu’est-ce que tu sais sur lui ?

— Que dalle. Je n’ai jamais entendu parler de maître Bjurman et je ne savais même pas qu’elle avait un tuteur.

— Mais la probabilité que quelqu’un d’autre ait tué les trois personnes est infime. Je veux dire que même si quelqu’un tuait Dag et Mia à cause de leur histoire, il n’avait strictement aucune raison de tuer le tuteur de Lisbeth Salander.

— Je sais et j’y ai réfléchi à me rendre malade. Mais je peux imaginer au moins un scénario où une personne extérieure pourrait tuer aussi bien Dag et Mia que le tuteur de Lisbeth.

— Et c’est quoi ?

— Bon, disons que Dag et Mia ont été tués parce qu’ils fouillaient dans le commerce du sexe et que Lisbeth y avait été mêlée d’une façon ou d’une autre comme tierce personne. Si Bjurman était le tuteur de Lisbeth, la possibilité existe qu’elle se soit confiée à lui tout simplement et qu’il soit ainsi devenu un témoin ou qu’il ait appris quelque chose qui a mené à ce qu’il soit tué lui aussi.

Malou réfléchit un moment.

— Je vois ce que tu veux dire, dit-elle avec hésitation. Mais tu n’as pas la moindre preuve d’une telle théorie.

— Non. Pas la moindre.

— Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce qu’elle est coupable ou non ?

Mikael tarda un long moment avant de répondre.

— Je vais tourner les choses comme ça : est-elle capable de tuer ? La réponse est oui. Lisbeth Salander est d’une nature violente. Je l’ai vue en action quand…

— Quand elle t’a sauvé la vie ?

Mikael hocha la tête.

— Je ne peux pas raconter le contexte. Mais un homme avait l’intention de me tuer et il était sur le point d’y arriver. Elle s’est interposée et l’a sérieusement malmené avec un club de golf.

— Et tu n’as rien dit de tout cela à la police.

— Absolument rien. C’est entre toi et moi.

— D’accord.

Il la regarda, l’air profondément sérieux.

— Malou, il faut que je puisse avoir confiance en toi dans ce contexte.

— Je ne vais rien raconter de ce qu’on se dit à qui que ce soit. Même pas à Anton. Tu n’es pas seulement mon chef – je t’aime bien aussi et je n’ai pas l’intention de te nuire.

Mikael hocha la tête.

— Pardonne-moi, dit-il.

— Arrête de demander pardon tout le temps.

Il rit, puis il retrouva son sérieux.

— Je suis persuadé que si ç’avait été nécessaire, elle l’aurait tué pour me défendre.

— D’accord.

— Mais le fait est que je la vois aussi comme une personne très rationnelle. Singulière, oui, mais totalement rationnelle selon ses propres principes. Elle a usé de violence parce que c’était nécessaire, pas parce qu’elle en avait envie. Il lui faut une raison pour tuer – elle doit être menacée à l’extrême et provoquée.

Il réfléchit encore un moment. Malou l’observait patiemment.

— Je ne peux rien dire sur son tuteur. J’ignore tout de lui. Mais il m’est impossible d’imaginer Lisbeth en train d’assassiner Dag et Mia. Je n’y crois pas.

Ils restèrent un long moment silencieux. Malou jeta un regard sur sa montre et constata qu’il était 21 h 30.

— Il est tard. Je devrais rentrer chez moi, dit-elle. Mikael hocha la tête.

— On y a passé toute la journée. On continuera à faire fonctionner nos méninges demain. Non, laisse la vaisselle… je m’en occupe.

 

 

DANS LA NUIT DU SAMEDI au dimanche de Pâques, Armanskij avait une insomnie et écoutait la respiration bruyante de Ritva. Lui non plus n’arrivait pas à tirer le drame au clair. Il finit par se lever, glissa les pieds dans ses pantoufles, enfila une robe de chambre et sortit dans la pièce de séjour. L’air était frais et il ajouta quelques bûchettes dans le poêle à bois, ouvrit une bière et s’assit pour fixer la nuit au-dessus du chenal de Furusund.

Qu’est-ce que je sais ?

Dragan Armanskij pouvait confirmer sans trop de difficulté que Lisbeth Salander était fêlée et imprévisible. Il n’y avait pas le moindre doute là-dessus.

Il savait que quelque chose s’était passé au cours de l’hiver 2003 quand elle avait tout à coup cessé de travailler pour lui et avait disparu à l’étranger pour son année sabbatique. Il était persuadé que Mikael Blomkvist était d’une façon ou d’une autre mêlé à sa soudaine absence – mais Mikael ne savait pas non plus ce qui s’était passé ni pourquoi elle avait soudain disparu.

Elle était revenue et lui avait rendu visite. Elle avait prétendu être « indépendante économiquement », ce qu’Armanskij avait interprété comme une manière de dire qu’elle avait assez d’argent pour se débrouiller pendant quelque temps.

Elle avait passé le printemps à aller rendre visite à Holger Palmgren. Elle n’avait pas contacté Mikael Blomkvist. Elle avait soudain tué trois personnes, dont deux lui étaient en apparence de parfaits inconnus.

Ça ne colle pas. Ce n’est pas logique.

Armanskij but une goulée directement à la bouteille et alluma un cigarillo. Il avait mauvaise conscience aussi, ce qui avait contribué au malaise qu’il trimballait ce week-end.

Quand Bublanski était passé le voir, il n’avait pas hésité à lui fournir toutes les infos pouvant aider à la capture de Lisbeth Salander. Il lui semblait incontestable qu’il fallait l’arrêter – le plus vite serait le mieux. Mais il avait mauvaise conscience d’avoir une si piètre opinion de Lisbeth qu’il avait accepté sans la remettre en question l’annonce de sa culpabilité. Armanskij était réaliste. Si la police vous affirmait qu’une personne était soupçonnée de meurtre, il y avait de grandes chances qu’il en soit ainsi. Par conséquent, Lisbeth Salander était coupable.

Mais la police ne prenait pas en compte le fait que Lisbeth Salander estimait peut-être avoir une raison d’agir comme elle l’avait fait – s’il pouvait y avoir des circonstances atténuantes ou au moins une explication plausible de sa furie. La tâche de la police était de l’arrêter et de prouver qu’elle avait tiré les coups de feu – pas de fouiller dans ses méninges et d’expliquer pourquoi. Ils se contentaient de trouver une motivation à peu près plausible à ses actes, mais ils étaient aussi prêts, s’ils manquaient d’explications, à établir qu’il s’agissait d’un acte dément. Lisbeth Salander fait un malade mental assassin idéal. Il secoua la tête.

Dragan Armanskij n’aimait pas cette explication.

Lisbeth Salander ne faisait jamais rien contre sa volonté et sans réfléchir aux conséquences.

Spéciale-oui. Folle-non.

Par conséquent, il existait une explication, fût-elle obscure et inaccessible à une personne extérieure.

Vers 2 heures, il prit une décision.

 

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